Baignades en eau vive… entre enjeu de santé publique et préservation des milieux naturels

Baignades en eau vive… entre enjeu de santé publique et préservation des milieux naturels

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Responsable Transition écologique, AUAT

Le confort d’été est devenu un enjeu majeur et prioritaire de nos villes. Hausse des températures moyennes, succession accélérée des épisodes de canicule caractérisés par des températures maximales également en hausse, phénomène d’îlot de chaleur urbain qui atteint +4 à +6 °C la nuit sur l’agglomération toulousaine… La chaleur en ville représente aujourd’hui un véritable défi, sanitaire tout autant qu’économique (consommation d’eau et d’énergie, activités économiques, attractivité touristique).

Les plans canicule, mis en oeuvre par les collectivités, adressent à tous différents conseils à adopter pour supporter ces périodes éprouvantes, même s’ils ciblent plus particulièrement les populations les plus à risque : personnes de plus de 65 ans, handicapées, malades ou dépendantes, femmes enceintes, jeunes enfants, personnes sans abri ainsi que les travailleurs exposés à la chaleur.

La recherche de lieux « frais » est ainsi vivement recommandée, notamment si les logements ne peuvent pas conserver une température acceptable. Outre les bâtiments climatisés accueillant du public (cinéma, bibliothèque, supermarché, musée…), les espaces verts, naturels ou urbains, et les espaces aquatiques deviennent très prisés.

Qui n’a pas lu attentivement les articles de presse, à l’approche de l’été, sur les piscines les plus accueillantes ou les sites naturels de baignade les plus à même de satisfaire des envies de fraîcheur ?

 

La Confluence Garonne-Ariège, un écrin naturel à proximité de la ville

 

Aux portes de l’agglomération toulousaine, la confluence entre Garonne et Ariège offre un écrin d’eau et de verdure particulièrement préservé. Créée en 2015, la réserve naturelle régionale (RNR) du même nom témoigne de la reconnaissance des qualités écologiques des 579 hectares d’espaces la composant. À travers ce classement qui assure une protection réglementaire opposable aux documents d’urbanisme, la RNR porte une politique concertée de gestion, de valorisation et d’ouverture au public des espaces naturels, dans un souci équilibré de protection et d’éducation à l’environnement. Couvrant tout ou partie de onze communes [1] autour de la Garonne et de l’Ariège, elle assure la cohérence de ses interventions avec les échelons régionaux et nationaux en matière de préservation du patrimoine naturel et d’aménagement du territoire, mais également au sein même de son périmètre, en instaurant un partenariat étroit avec l’ensemble des acteurs concernés : collectivités territoriales, propriétaires, acteurs économiques, habitants, usagers…

Répondant à des enjeux écologiques de conservation d’habitats naturels, d’espèces animales et végétales, mais aussi à des enjeux socioculturels partagés, le plan de gestion de la RNR, confié à Nature En Occitanie, définit quatre axes principaux d’intervention sur le territoire de la Confluence Garonne- Ariège : la préservation et la restauration du patrimoine naturel caractéristique du territoire (au cœur de sa vocation) ; l’identification de la réserve naturelle comme support pédagogique, éducatif et scientifique ; la conservation et l’affirmation de l’identité du territoire ; la promotion d’une gouvernance partagée.

Consciente de sa proximité privilégiée avec l’agglomération toulousaine, la RNR s’attache à accueillir ses visiteurs dans les meilleures conditions, adaptées à la préservation des habitats naturels et des espèces en présence qui en font toutes ses qualités. Elle connaît néanmoins une fréquentation de plus en plus importante, notamment en période estivale, entraînant des pressions et des dysfonctionnements, désormais indispensables à prévenir.

 

Confluence Garonne-Ariège © Nature En Occitanie

 

Une activité de baignade historique… désormais interdite

 

La fréquentation des berges et l’activité de baignade dans l’Ariège et la Garonne sont historiques. Pour autant, en réaction à plusieurs accidents (une noyade en moyenne tous les trois à quatre ans), les communes ont progressivement pris des dispositions d’interdiction de cette activité par arrêtés municipaux. Au début des années 2000, la mobilisation des collectivités et en particulier du SICOVAL a permis en outre la mise en place d’une équipe locale de veille et de prévention des risques, coordonnée avec les services professionnels locaux de sécurité et de police.

La création de la RNR en 2015 s’est accompagnée d’un renforcement des actions de prévention sur les onze communes concernées, avec la présence d’écogardes saisonniers, véritables médiateurs en période estivale. Sujet de débat récurrent entre les élus – leur responsabilité est engagée et toute autorisation doit s’accompagner d’aménagements et d’une surveillance adaptés –, l’activité de baignade a finalement été interdite sur toute la RNR par un règlement spécifique. Cette décision résulte de la prise en considération de plusieurs motifs.

Certains sites sont particulièrement dangereux, soumis à des phénomènes de « machine à laver » qui maintiennent les baigneurs au fond de l’eau, issus de la combinaison de « seuils rocheux » et de courants de « rappel » dans le lit du cours d’eau. Les températures plus hautes constatées au printemps incitent certains à se baigner dans une eau qui reste froide du fait de la fonte des neiges et dont le courant est encore important, avec un risque d’hypothermie et d’épuisement pour les baigneurs. En été, les fortes chaleurs combinées à des épisodes d’orages et de pluies importantes impactent la qualité bactériologique de l’eau par une remise en suspension des sédiments.

Par ailleurs, la fréquentation en hausse tend de plus en plus à impacter des sites sensibles d’un point de vue écologique, jusqu’alors relativement préservés. Les usages liés à l’eau, s’ils interviennent tôt en saison, sont susceptibles de perturber la période de fraie des populations piscicoles, qui se déroule de mars à juin. La pratique du canoë-kayak, en club ou en location, augmente également, même si elle reste encadrée. Pour autant, au regard du nombre de pratiquants – environ 10 000 descentes locatives sont recensées l’été, sans compter les activités associatives toute l’année ! –, le débarquement est désormais interdit sur certains îlots afin de protéger l’avifaune. La pression est forte également sur terre. La multiplication des barbecues augmente le risque d’incendie, favorisé par les périodes de sécheresse. Globalement, la qualité des milieux est directement impactée : crème solaire dans l’eau, micro-déchets difficiles à collecter (mégots, capsules de boisson), détérioration de certains sites, du fait de coupe ou de prélèvement de bois, ou encore de piétinement important provoquant une érosion des berges. Ces pressions sur les milieux aquatiques et riverains sont renforcées par l’aggravation et l’allongement de la période d’étiage (niveau moyen le plus bas du cours d’eau). En avril 2023, le débit de l’Ariège était ainsi inférieur de deux tiers à son débit de référence.

 

Des pressions qui perdurent, un véritable enjeu de maîtrise pour les collectivités

 

Une enquête de fréquentation, réalisée tous les deux ans et dernièrement en 2021, entre le 15 juin et le 15 septembre, a recensé environ 60 000 visiteurs sur la RNR, dont la moitié en quête de fraîcheur. Près des trois quarts sont originaires de Toulouse, trouvant là un espace de nature proche et de qualité, souvent faute de moyens pour partir plus loin en vacances. Ce décompte augmente depuis plusieurs années, avec un bond de +50 % constaté en 2020 (année de la pandémie Covid-19), qui n’est jamais redescendu. Est-ce une conséquence de cette période si particulière ? Les visiteurs ne souhaitent plus être trop proches les uns des autres. Et avec des épisodes de chaleur plus précoces et plus longs, la fréquentation s’étale dans le temps et dans l’espace sur le territoire.

Certaines pratiques, amplifiées du fait du nombre plus important de visiteurs, sont devenues difficilement maîtrisables. L’utilisation de bouées, de matelas de camping inappropriés en eau vive peut vite s’avérer dangereuse, tout comme la pratique de « big jump » depuis les ponts. Le stationnement sauvage au plus près des entrées, la saturation des équipements et des lieux génèrent aussi des tensions avec les riverains.

La politique d’interdiction de la baignade n’est pas remise en question à ce jour. Depuis maintenant plusieurs années, les pratiques sur les sites dangereux ou écologiquement sensibles, comme les pratiques à risque ou conflictuelles telles celles évoquées précédemment, génèrent une intervention directe de l’équipe de veille et des écogardes pour écarter toute mise en danger ou en conflit. En dehors de ces situations, des actions de sensibilisation et de prévention sont privilégiées. L’enjeu de la RNR est bien de canaliser la fréquentation, de maîtriser et accompagner les usages, afin de considérer les attentes des visiteurs comme celles des riverains, limiter les tensions, toujours dans le respect de la qualité des milieux. Pour ce faire, elle oriente désormais les visiteurs vers des « portes d’entrée » aménagées, qui sont l’opportunité de faire connaître aux visiteurs les caractéristiques des milieux naturels de la Confluence Garonne- Ariège et les y sensibiliser, mais aussi de communiquer de façon ciblée sur les usages autorisés.

 

Repenser l’offre de fraîcheur dès aujourd’hui

 

Une réflexion est aujourd’hui engagée par la RNR pour aller plus loin, et véritablement repenser et améliorer l’accueil des visiteurs en quête de fraîcheur, d’espaces de nature, en coordonnant les actions au sein de son périmètre d’action. Mais la problématique dépasse largement ses compétences et son aire d’intervention.

Le triple enjeu portant sur le problème de la santé publique lié à la hausse des températures, sur la limitation de l’accès à la ressource en eau – pour des raisons de réduction des volumes ou de qualité ou des raisons financières –, et sur la protection des milieux naturels implique d’anticiper les besoins des populations en lieux de rafraîchissement et de baignade, accessibles et gratuits, à l’échelle de grands territoires (métropole, agglomérations, aires d’attractivité…). La fermeture estivale de certaines piscines, par ailleurs payantes, l’interdiction de sites de baignade naturelle pour raisons sanitaires (cyanobactéries) en cas de fortes chaleurs (exemple du plan d’eau de La Ramée sur l’agglomération toulousaine en 2021 et 2022) soulèvent la nécessité de réfléchir « collectivement » à un maillage accessible d’alternatives crédibles pour pouvoir se rafraîchir « individuellement ».

 

Lieux de baignade contrôlés autour de l’agglomération toulousaine © Christophe Hahusseau – AUAT

 

Sur ce sujet et à titre d’exemples, des travaux sociologiques menés sur l’agglomération lyonnaise montrent l’importance de comprendre préalablement les « manières » de s’adapter des habitants face aux fortes chaleurs et les vulnérabilités différenciées qui peuvent en découler [2]. La Ville de Paris, qui s’est aussi attachée à cette question, met ainsi en avant l’intérêt d’une démarche multipartenariale pour traiter la question de l’adaptation à la chaleur par la création et la mise en réseau d’îlots et de parcours de fraîcheur [3]. Le citoyen, correctement informé, peut aussi y contribuer et proposer des réponses adaptées aux pratiques [4]. Les perspectives d’évolution climatique et de pressions sur les milieux naturels nécessitent de poser la réflexion et le débat dès aujourd’hui.


Article rédigé sur la base d’un entretien avec Mathieu ORTH, conservateur de la réserve naturelle régionale Confluence Garonne-Ariège.


[1]Onze communes : Clermont-le-Fort, Goyrans, Labarthesur- Lèze, Lacroix- Falgarde, Pins-Justaret, Pinsaguel, Portet-sur- Garonne, Toulouse, Venerque, Vernet, Vieille-Toulouse.

[2]ALLAGNAT M. et MOLINA G., « Habiter en périodes de fortes chaleurs. Vécus et inégalités socio-spatiales des habitants de Saint- Priest », AIC Toulouse 2022, 35e colloque annuel de l’Association internationale de climatologie, session « Climat urbain », 6 juillet 2022.

[3]ROUSSEL J. et FRANÇOISE Y, « L’adaptation aux vagues de chaleur à Paris : une action municipale multidimensionnelle », Lettre d’information sur les risques et les crises, n° 60, 2019, p. 6-8.

[4]Van der WALT S., « Flussbad Berlin, un projet citoyen de baignade urbaine dans le canal de la Spree », Allemagne d’aujourd’hui, n° 234, 2020, p. 59-70.


© Nature En Occitanie

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